Voitures électriques : une pénurie de batteries est-elle à prévoir et quelles solutions pour l’endiguer ?
Après celle des semi-conducteurs bientôt la pénurie de batteries ? L’industrie automobile commence à s’inquiéter d’une pénurie peut-être encore plus dévastatrice, avec un manque de matières premières qui conduirait à des problèmes de production de batteries pour voitures électriques. Certains, comme Elon Musk, pourtant généralement assez optimiste, redoutent ce scénario.
Comme vous n’êtes sûrement pas sans le savoir si vous suivez avec assiduité l’actualité automobile, et même l’actualité dans un sens plus large, plusieurs industries sont confrontées à des problèmes d’approvisionnement en semi-conducteurs. Ces puces sont aujourd’hui indispensables pour le bon fonctionnement de nos autos, elles qui sont de plus en plus pourvues de systèmes électroniques. Les délais de livraison s’allongent et certains modèles ne sont pas disponibles avant plusieurs mois, voire même plus d’un an dans certains cas.
La pandémie et le conflit ukrainien sont les principales causes de ces pénuries, et elles pourraient en amener encore d’autres, bien plus dévastatrices d’après certains acteurs de l’industrie automobile. En effet, sous la pression du législateur, le parc automobile s’électrifie à marche forcée et le besoin en batteries Lithium-ion de traction (et donc en matières premières) s’intensifie. Avec le rythme effréné de l’électrification et les différents problèmes sanitaires et géopolitiques, certains dirigeants et analystes commencent à tirer la sonnette d’alarme sur le risque que la production de batteries soit incapable de suivre la demande.
LES GRANDS DIRIGEANTS S’INQUIÈTENT DE LA SITUATION
Même le fantasque patron de Tesla, Elon Musk, averti de cette situation délicate. La marque américaine a pour objectif de livrer plus d’un million de modèles à travers le monde en 2022. Mais cet objectif pourrait rapidement être revu à la baisse par la pénurie de composants. En France, par exemple, il faut attendre début 2023 pour être livré de sa Tesla Model 3 si elle est commandée aujourd’hui. L’année dernière, sur Twitter, Elon Musk avait déjà averti qu’une pénurie de cellules de batteries pourrait entraver la capacité du groupe à augmenter la production de son camion, le Tesla Semi.
Le patron de Rivian, RJ Scaringe, se montre encore plus alarmiste, comme en témoigne son interview accordée au Wall Street Journal. Ce dernier pense que « les semi-conducteurs ne sont qu’un petit amuse-bouche par rapport à ce qui nous attend avec les batteries durant les deux prochaines décennies ». Il avait également annoncé dans les colonnes de CNBC que « la plupart des pays du monde vont arrêter de vendre des voitures à moteur thermique. L’échelle de ce changement est difficile à apprécier », laissant ainsi présager une incertitude sur la croissance de la voiture électrique à court terme.
Selon un rapport de l’Agence européenne de l’énergie (IEA), les ventes de voitures électriques ont déjà triplé dans le monde entre 2019 et 2021 pour atteindre 6,6 millions d’exemplaires. Même si cela reste une goutte d’eau face aux 78,837 millions de véhicules qui ont été écoulés l’an dernier selon les estimations du cabinet Inovev, toujours est-il que la croissance des ventes est exponentielle.
Carlos Tavares, le patron de Stellantis, a lui aussi averti de cette situation. Dans le cadre de la conférence FT Future of the Car 2022, il avait annoncé craindre des problèmes d’approvisionnement en batteries vers 2025 et 2026. « Et s’il n’y a pas de pénurie de batteries, alors il y aura une dépendance importante du monde occidental vis-à-vis de l’Asie. C’est quelque chose que nous pouvons facilement anticiper », a-t-il ajouté. « La vitesse à laquelle tout le monde construit actuellement des capacités de production de batteries est peut-être à la limite de pouvoir soutenir les marchés à évolution rapide sur lesquels nous opérons », a-t-il précisé.
LA DEMANDE EN MATIÈRES PREMIÈRES EXPLOSE
La demande en matériaux explose, et notamment ceux utilisés dans les batteries. La récente guerre en Ukraine a ravivé les craintes, surtout au niveau du nickel, un métal dont la Russie est le troisième producteur mondial. Début mars, son prix avait même doublé en l’espace de 24h. Mais le nickel n’est pas le seul concerné.
Le prix du lithium explose également et s’achemine vers de nouvelles valeurs record. Au début de l’année 2021, son prix était d’environ 5 €/kg, alors qu’il est maintenant passé à environ 30 €/kg. Selon plusieurs analystes, il pourrait même atteindre 50 €/kg début 2023. Ce matériau ne risque pas la pénurie à court et moyen terme, mais ses coûts pourraient engendrer une importante hausse des prix des voitures électriques.
Pour le cobalt, un élément clé dans la fabrication de la cathode d’une batterie lithium-ion, même si son utilisation diminue, il est responsable à lui seul de 25 % du coût de l’ensemble de l’accumulateur. Il se dirige vers 35 dollars la livre, soit 70 €/kg. Concernant le graphite, utilisé notamment pour fabriquer l’anode des batteries et majoritairement fourni par la Chine, l’agence d’information spécialisée Benchmark Mineral Intelligence estime que la demande va augmenter de 18 % en moyenne chaque année jusqu’en 2030 et qu’il risque d’être impossible de suivre cette croissance.
Selon une étude menée par le cabinet Roland Berger, il existe aujourd’hui quatre facteurs de risques pour la chaîne d’approvisionnement des batteries. Le premier est géopolitique. En effet, l’extraction et le traitement des ressources proviennent d’un « petit nombre de pays », tandis qu’environ un dixième de la production mondiale de nickel est originaire de Russie. L’exploitation de ces matières premières a « un impact environnemental et social important ». L’extraction du lithium utilise, par exemple, de grandes quantités d’eau, sans compter les émissions de CO2 pour certains processus de production.
En parallèle, l’augmentation des capacités de production dans la chaîne de valeur « de la mine à la cellule » doit aussi être prise en compte. L’étude indique que « des dépenses d’investissement de 250 à 300 milliards d’euros sont prévues au cours des huit prochaines années » et « un tiers doit satisfaire la demande européenne ». Les experts estiment également que « la disponibilité de certains matériaux deviendra critique », citant des pénuries attendues pour le nickel, le cobalt ou leurs sulfates, mais plus particulièrement sur le lithium.
QUELLES SOLUTIONS ?
Ce contexte a conduit certains acteurs à avoir recours à d’autres chimies. Tesla a ainsi choisi d’équiper les versions d’entrée de gamme des Model 3 et Model X avec des batteries lithium-fer-phosphate, sans cobalt ni nickel. Ces accumulateurs ont aussi d’autres avantages : ils acceptent mieux une recharge à 100 % et sont aussi moins chers. En revanche, ils possèdent une densité énergétique plus faible et il leur faut prendre plus de poids et de place pour permettre d’obtenir la même capacité qu’une batterie NMA ou NCA utilisée dans les autres modèles de la marque.
L’autre technologie qui fait beaucoup parler d’elle en ce moment, ce sont les batteries solides promises pour la fin de la décennie. Celles-ci promettent d’être moins gourmandes en métaux rares, de moins chauffer et de bénéficier d’une meilleure densité énergétique. Mais elles ne seront pas disponibles avant 2030, contrairement aux batteries semi-solides qui devraient arriver dès la fin de l’année, notamment sur les Nio ET5 et ET7.
Pour prévenir les pénuries à venir, Wolfgang Bernhart, associé chez Roland Berger, formule quelques propositions. Selon lui, « une approche intégrée entre la métallurgie et la chimie aidera à réduire les coûts » au niveau de la production. Il ajoute qu’une « régionalisation et une relocalisation accrues de plusieurs étapes de la fabrication des batteries peuvent également atténuer les risques géopolitiques. Le recyclage jouera également un rôle de plus en plus important à partir de la fin de la décennie. »
Ainsi, quelques pays, à l’image de la France, réfléchissent à construire des mines sur leur propre sol, afin d’éviter d’être dépendant du reste du monde tout en augmentant la capacité de production au niveau mondial. Concernant le recyclage, il est prévu qu’en 2030, seulement 11 % des batteries produites soient issues du recyclage. Il faudra attendre plus longtemps avant qu’il y ait suffisamment de batteries en fin de vie pour être recyclées et réutilisées dans des véhicules neufs. Sur le sujet, les constructeurs travaillent d’arrache-pied pour améliorer le taux de recyclage, à l’image de Volkswagen qui souhaite recycler plusieurs fois une même batterie. De quoi diminuer à l’avenir le besoin en matériaux pour la conception de nouvelles voitures.
Il n’y a donc plus qu’à patienter que de nouvelles mines ouvrent un peu partout dans le monde dans le but de réduire la tension sur le marché des matériaux utilisés dans les batteries. Il est possible que les prix continuent d’augmenter, mais les cabinets n’ont pas tous la même analyse, et certains prédisent une baisse des prix des batteries dès l’année prochaine.
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