Fin des voitures thermiques : « le risque est qu’en 2035, les prix des électriques soient trop élevés pour les ménages »

La fin des ventes de voitures thermiques aura bien lieu en 2035. Le projet du Parlement européen a été approuvé par le Conseil des ministres européens la semaine dernière. L’interdiction de vente des voitures essence et diesel deviendra donc bel et bien réalité dans une petite dizaine d’années. Mais pour Flavien Neuvy, économiste et directeur de l’Observatoire Cetelem, il reste encore beaucoup de questions sans réponse.

 

Capital : Quel est votre point de vue sur la décision du Parlement européen d’interdire la vente de véhicules thermiques en 2035 ?

Flavien Neuvy : La voiture électrique est formidable pour améliorer la qualité de l’air et la pollution sonore dans les centre-villes. Sur ce point, c’est un avantage formidable. La question à se poser c’est de savoir si c’est le bon choix de ne proposer que la voiture électrique. La voiture diesel au fin fond de la Creuse, je ne pense pas qu’elle pose un gros problème environnemental. Le choix le plus raisonnable aurait été sûrement de proposer un mix diversifié.

Cette décision est-elle trop radicale selon vous ?

Encore une fois, la voiture électrique a toute sa place dans les grandes villes mais le tout-électrique pose de nombreuses questions économiques, industrielles et environnementales qui restent sans réponse. Des études d’impact ont-elles été effectuées ? Quelles seront les conséquences sur l’emploi industriel ? On nous parle souvent de créations de postes dans les gigafactory, mais si pour la création d’un emploi, il faut en supprimer deux ou trois à côté, le solde est négatif. Il ne faudra pas se poser des questions sur les conséquences des décisions prises a posteriori.

La revente des véhicules d’occasion va-t-elle se compliquer ?

C’est déjà le cas aujourd’hui à certains endroits. Si vous êtes propriétaire d’un vieux diesel, la revente de votre véhicule est plus compliquée si vous habitez dans une grande agglomération qui a mis en place une ZFE (zone à faibles émissions, ndlr) que dans un département où il n’y aucune restriction de circulation. On sait que ces véhicules d’occasion ne pourront plus circuler dans les grandes métropoles à terme ou que leur utilisation sera plus contraignante.

Cela risque-t-il d’impacter négativement la valeur de revente de ces véhicules ?

En fonction du lieu d’habitation, l’évolution de la réglementation engendre forcément des modifications sur la valeur des véhicules. Moins un véhicule sera autorisé à circuler, plus il sera difficile à revendre et donc sa valeur va baisser. Mais c’est une question à laquelle il est difficile de répondre car il y a beaucoup de paramètres qui entrent en jeu et la réglementation est trop volatile. Rappelez-vous, il y a 13 ans, le gouvernement a voté le premier Grenelle de l’environnement qui incitait à l’achat d’un véhicule diesel avec le bonus écologique. Aujourd’hui, le diesel est critiqué. En très peu de temps, on passe du tout au tout.

Donc anticiper ce qui va arriver dans les 12 à 13 prochaines années semble impossible. Et si l’on regarde la situation aujourd’hui, le prix des véhicules d’occasion a même tendance à augmenter à cause de la pénurie des composants qui engendre des problématiques de disponibilités des voitures neuves.

Ce virage vers le tout-électrique va-t-elle engendrer une fermeture des stations essence à court terme ?

C’est sûr que leur nombre pourrait se réduire à mesure que les voitures essence et diesel disparaîtront de la circulation. Mais je ne pense pas que ce sera pour tout de suite. Il y a quand même 35 millions de véhicules thermiques en circulation sur nos routes. Le parc roulant va exister encore pendant très longtemps, même après l’échéance de 2035.

 

Cette décision du Parlement européen ne va-t-elle pas accélérer la mise en place d’une taxe sur l’électricité ?

C’est une question à laquelle seul l’Etat a la réponse. Mais forcément, il y a des interrogations sur les recettes fiscales liées aux carburants. C’est une manne financière très importante pour l’Etat et pour les régions. Aujourd’hui, personne n’en parle car il ne faut pas effrayer ceux qui veulent passer à l’électrique. Mais je vois mal l’Etat se priver de dizaines de milliards d’euros de recettes fiscales chaque année. Il faudra bien remplacer la taxe actuelle par autre chose.

Le plus grand talon d’Achille des voitures électriques aujourd’hui est leur prix trop élevé. Croyez-vous à une baisse des tarifs prochainement ?

Il faut comprendre que l’industrie automobile est une industrie de volume. Plus un constructeur vend une voiture, plus il amortit les coûts de production et plus il peut baisser le prix de vente. Ça a toujours marché comme ça et on pensait que ça serait pareil avec les électriques. Le problème, c’est que ce pari n’est pas gagné d’avance car il y a une vraie incertitude autour du coût des matières premières. Aujourd’hui, on constate qu’elles ont beaucoup augmenté, ce qui a eu pour effet de faire grimper le prix de vente des électriques, quel que soit le modèle.

Le risque est qu’en 2035 nous ayons des voitures électriques à des prix trop élevés pour la plupart des ménages. Il faut faire attention à l’accessibilité financière de ces voitures. Produire des modèles que personne ne peut acheter ça n’a pas de sens. On le voit déjà aujourd’hui : sans les aides de l’Etat (bonus écologique de 6.000 euros, ndlr), il n’y aurait pas de ventes de voitures électriques.

 

La fin du thermique va-t-elle fragiliser les constructeurs européens face à la concurrence chinoise ?

La conception de moteurs thermiques est maîtrisée par les marques européennes et américaines. Pas par les Chinois dont cela restait une barrière technologique, notamment pour respecter les normes antipollution. Mais cette barrière à l’entrée tombe à la suite à la décision du Parlement européen. Dès lors, l’Europe va devenir une cible de choix pour les Asiatiques qui sont des spécialistes de la voiture électrique. Quand on achète un modèle électrique aujourd’hui, il y a un transfert de la valeur ajoutée vers la Chine.

L’Europe va devenir une cible de choix pour les Asiatiques qui sont des spécialistes de la voiture électrique

Tout l’enjeu pour les marques européennes va être de produire des batteries à des prix compétitifs par rapport au marché asiatique. Ce n’est pas gagné car les Chinois ont 20 ans d’avance dans ce domaine.

Pensez-vous que les gens restent méfiants vis-à-vis des marques chinoises ?

Non je ne pense pas qu’il y ait de la réticence. Les gens se disent que si les voitures sont vendues en Europe c’est qu’elles respectent les normes et la réglementation, notamment en matière de crash-test. Les clients se poseront de plus en plus la question quand il n’y aura plus que des voitures électriques et que les modèles chinois seront jolis et à 10-15% moins cher. Nous n’en sommes pas encore là mais ça va arriver très vite.

De nombreux Français hésitent à passer à l’électrique à cause du manque de bornes de recharge. Pensez-vous que le problème sera résolu dans les années à venir ?

Le déploiement des infrastructures ne va pas très vite mais on va bien finir par y arriver. D’ici 2035, je pense que l’on devrait avoir un réseau de recharge cohérent. La vraie question c’est la consommation électrique. On nous explique aujourd’hui qu’il va falloir se lancer dans une réduction de la consommation d’énergie à outrance car nous n’avons pas les capacités de production nécessaires. Aura-t-on la capacité de production nécessaire pour alimenter des millions de voitures électriques à l’avenir ? Il y a un vrai point d’interrogation là-dessus.

Source: Fin des voitures thermiques : « le risque est qu’en 2035, les prix des électriques soient trop élevés pour les ménages » – Capital.fr

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